Je ne peux plus dire mon nom. Depuis longtemps je ne peux plus. Je n'arrive pas à l'articuler. Je bafouille désespérément à chaque fois que l'on me pose la question, aussi les gens me demandent-ils presque toujours de le répéter. C'est pour moi quelque chose d'insupportable. J'ai l'impression que je dois le sortir du fond de moi-même, comme un crachat. Je m’écorche, je suis à vif. Et aussi soudain, je suis nu, honteux, coupable.
Pourquoi suis-je aussi désarmé. Mon nom. Je trouve étrange souvent, que ce soit justement ce mot que je ne peux plus prononcer. Est-ce que c’est par hasard. Qui sait.
J'ai essayé d'en transformer une lettre, une syllabe, pour voir. Mais pas de changement, c'est toujours pareil.
Pourquoi me demandent-ils tous mon nom. Quelquefois je m'en imagine un autre, et je le répète longtemps, amoureusement. Je décide même de l'adopter, mais ça n'est pas possible. C'est une question de sens.
Je ne sais pas si j'aime mon nom. C'est devenu une chose, un obstacle. Il m'oblige à une lutte permanente. Et pourtant c'est mon bien. A moi. C'est probablement tout ce qu'il me reste. C'est moi aussi — partout sur des fiches. Parce qu'il y a partout des fiches avec mon nom — en lettres capitales. Comme toujours.
J'ai souvent rêvé de l'écrire dans un coin bien à moi. Maintenant ça y est. Je suis dans quatre murs. Mes ongles dérapent. La pierre est dure. Je la creuse difficilement.
Au début je l'ai écrit dans un coin, en tout petit. Je me suis rappelé les murs, les palissades, des murs si sales. Entre des vieilles affiches déchirées, des lambeaux, des bannières. Écrit à la craie, au charbon, tout ce que je trouvais par terre ou dans mes poches. Il fallait faire attention. Quelquefois un gosse surgissait, je ne sais d'où. Généralement, il s'enfuyait, quand je le regardais.
Je me rappelle tout cela, maintenant, et mon nom écrit en lettres énormes dans la ville.
Ici j'ai recommencé. C'est la dernière fois. Sur les quatre murs. J'ai choisi celui qui reçoit le soleil le matin, à travers les grilles. En lettres capitales, énormes, avec mes ongles.
Bientôt je n'aurai plus d'ongles. J'ai déjà les mains en sang. Il faudra alors que je m'arrête définitivement.
Éditions Gallimard - 1964
Pourquoi suis-je aussi désarmé. Mon nom. Je trouve étrange souvent, que ce soit justement ce mot que je ne peux plus prononcer. Est-ce que c’est par hasard. Qui sait.
J'ai essayé d'en transformer une lettre, une syllabe, pour voir. Mais pas de changement, c'est toujours pareil.
Pourquoi me demandent-ils tous mon nom. Quelquefois je m'en imagine un autre, et je le répète longtemps, amoureusement. Je décide même de l'adopter, mais ça n'est pas possible. C'est une question de sens.
Je ne sais pas si j'aime mon nom. C'est devenu une chose, un obstacle. Il m'oblige à une lutte permanente. Et pourtant c'est mon bien. A moi. C'est probablement tout ce qu'il me reste. C'est moi aussi — partout sur des fiches. Parce qu'il y a partout des fiches avec mon nom — en lettres capitales. Comme toujours.
J'ai souvent rêvé de l'écrire dans un coin bien à moi. Maintenant ça y est. Je suis dans quatre murs. Mes ongles dérapent. La pierre est dure. Je la creuse difficilement.
Au début je l'ai écrit dans un coin, en tout petit. Je me suis rappelé les murs, les palissades, des murs si sales. Entre des vieilles affiches déchirées, des lambeaux, des bannières. Écrit à la craie, au charbon, tout ce que je trouvais par terre ou dans mes poches. Il fallait faire attention. Quelquefois un gosse surgissait, je ne sais d'où. Généralement, il s'enfuyait, quand je le regardais.
Je me rappelle tout cela, maintenant, et mon nom écrit en lettres énormes dans la ville.
Ici j'ai recommencé. C'est la dernière fois. Sur les quatre murs. J'ai choisi celui qui reçoit le soleil le matin, à travers les grilles. En lettres capitales, énormes, avec mes ongles.
Bientôt je n'aurai plus d'ongles. J'ai déjà les mains en sang. Il faudra alors que je m'arrête définitivement.
Éditions Gallimard - 1964
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